La Première guerre mondiale a-t-elle fait progresser l’émancipation des femmes françaises ?

Publié le par Gérard Vial, enseignant en AEHSC au Lycée Montaigne de Mulhouse

Le simple visionnage de documents d’archives aboutit souvent au même constat : la femme de la Belle Epoque, portant chignon, engoncée dans son corset, empêtrée dans sa robe longue et dans un carcan de principes[i], est bien différente de celle des Années Folles[ii], en jupe courte ou pantalon, les cheveux coupés « à la garçonne », dansant le charleston de façon débridée, fumant la cigarette, conduisant des voitures, et même des aéroplanes ! Pourtant dix ans les séparent. Que s’est il passé entre ces deux images, certes caricaturales ? Cinq ans de guerre ont bouleversé le monde, et semblent avoir transformé positivement la condition féminine. Mais, sous les apparences stéréotypées, qu’en est-il en réalité, et plus particulièrement en France ?

L’accès au monde du travail ?

Une idée reçue veut que les femmes aient été peu nombreuses dans les activités de production avant 1914, puis que, les hommes étant au front,  elles soient venues occuper de nombreux emplois dans l’agriculture, dans l’industrie, et dans le tertiaire. Pour ce qui est de l’agriculture, il convient de nuancer : avant 1914, les femmes de la campagne aidaient déjà bénévolement leur mari, « chef » d’exploitation, et, celui-ci parti, n’ont fait qu’accentuer leur travail, se retrouvant, tout simplement, davantage « visibles ». Dans l’industrie, même constat. Si sont très connues les fameuses « munitionnettes », l’augmentation de main d’œuvre féminine ne semble pas, durant le conflit, dépasser 20%[iii].

Ce n’est que dans le tertiaire que, de façon importante, cette main d’œuvre féminine s’est réellement imposée : se multiplièrent les femmes conductrices de véhicules[iv], employées de bureau, guichetières dans les banques, commis d’administration, factrices, gardes champêtres…La féminisation du secteur tertiaire[v] commence donc bien avec la Première Guerre Mondiale, appuyée sur la création du baccalauréat féminin en 1919, puis la création d’un baccalauréat identique pour les deux sexes,[vi]l’accès des femmes à diverses écoles et activités qui leur restaient fermées[vii], etc.…

En définitive,  le bilan de la guerre n’est pas réellement positif pour l’emploi féminin. Revenus des combats, les hommes exigèrent en 1919 de retrouver leurs places, évincèrent les femmes d’usines touchées par l’arrêt de l’économie de guerre, et répandirent même l’image d’une femme « profiteuse », quasiment usurpatrice. On ne prit de gants qu’avec les veuves chargées d’orphelins. Concluons qu’il y a bien évolution de l’emploi féminin de 1914 à 1918, certes, mais pas révolution. Il faudra attendre les années 1960…

La législation et les droits politiques.

En 1919, force était de constater que le sacrifice des femmes, même s’il était moindre que celui des hommes, dont deux millions avaient été tués ou blessés, était loin d’être négligeable. Une récompense aurait été méritée, mais rien ne vint sur le plan des droits politiques. La guerre a peut être même interrompu un processus engagé avant 1914. La Belle Epoque avait été celle des « suffragettes », et il n’était pas exclu que le droit de vote aux municipales aurait été accordé pour 1916[viii]. Après 1919, prenant prétexte des conséquences de la guerre, le législateur français s’obstina à refuser le droit de vote aux femmes, malgré de nombreuses incitations[ix].

En définitive ?

En dehors d’évolutions vestimentaires et capillaires[x], et de l’accès à quelques postes du tertiaire, la condition féminine n’a pas fortement évolué à cause de la Première guerre mondiale. Les femmes, comme les hommes, ont pu profiter de la journée de huit heures, accordée en 1919, mais, dans les usines, celles qui travaillaient se retrouvèrent prises dans le système tayloriste, et il n’est pas certain qu’elles aient réellement gagné au change. Si émancipation il y eut, elle ne toucha en définitive que les catégories privilégiées, les quelques femmes qui pouvaient accéder aux études, et avaient les moyens de s’acheter une automobile ou de mener une vie trépidante. Un processus était cependant en marche, qui se concrétisa par l’entrée de trois femmes dans le gouvernement Blum en 1936…mais sans droit de vote.



[i] Les étudiants ont probablement tous vu le film « Titanic », reflétant la réalité de 1912, et ont dû être frappés par le maintien rigide des actrices, qui ne sont pourtant que des femmes d’aujourd’hui jouant un rôle.

[ii] Rappelons si besoin était que la « Belle Epoque » se situe entre 1896, fin de la « Grande Dépression »  et le 1° août 1914, début de la Guerre mondiale. Les « Années Folles » s’étendent de la signature du Traité de Versailles le 28 juin 1919, jusqu’au krach de Wall Street, le 24 octobre 1929.

[iii] On pourra consulter un article de Mme Françoise Thébaud, paru en mars 2006, dans la revue « les chemins de la mémoire », numéro 156, qui donne d’intéressantes conclusions chiffrées.

[iv] Et l’anecdote raconte que certains messieurs refusaient de monter dans les tramways conduits par des femmes…

[v] En excluant de ce raisonnement les activités traditionnellement féminines du tertiaire subalterne, lingères, servantes, cuisinières, nourrices…

[vi] Décret Bérard de 1924

[vii] Depuis les années 1880, les femmes avaient (péniblement) accès aux études supérieures, mais maints blocages subsistaient. Ainsi, une femme pouvait devenir professeur, mais ne pouvait pas enseigner le latin !

[viii] Il était question du vote des femmes en France depuis 1851, et, dans les années 20, les femmes votaient dans de nombreux pays (Etats unis, Royaume Uni, Finlande, Islande…).

[ix] La Chambre des Députés demanda à plusieurs reprises le droit de vote pour les femmes, à une large majorité, mais se heurta  à des refus systématiques du Sénat.

[x] Dans les années 20, la loi (non appliquée) n’autorisait les femmes à porter le pantalon que si elles étaient à bicyclette ou tenaient un cheval à la main.

Publié dans Capitalisme - histoire

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V
<br /> Il est certain que l'accès au marché du travail par les femmes s'est fait dans le temps... Et il convient, je pense, de distinguer cette notion "accès au marché du travail" et "travail". Sans cela,<br /> il semblerait que les femmes se sont misent à travailler au XXème siècle alors qu'elles travaillent depuis la nuit des temps!! J'imagine difficilement les femmes restaient "à la maison",<br /> c'est-à-dire à la ferme quand l'économie était à 80% agricole! Surtout, rappelons-le, la fréquence des guerres et des maladies laissait peu de place pour adopter une position aussi confortable<br /> selon laquelle l'un des membres du foyers reste inactif.<br /> Les femmes travaillent depuis toujours dans l'économie de la subsistance et dans l'agriculture. Les choses se corsent avec l'industrialisation et la naissance du salariat. Ce qui à l'échelle de<br /> l'histoire de l'humanité reste une exception.<br /> <br /> <br />
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