Lecture différenciée 1 par un enseignant : Quels sont les atouts de la France d’aujourd’hui pour sortir de la crise ?

Publié le par Alexis Trémoulas, enseignant d'AEHSC à Claude Fauriel,St-Etienne.

 

La France a mieux résisté que ses voisins à la crise économique mondiale actuelle. Parce qu’elle est moins exposée au commerce international, car les stabilisateurs automatiques y sont plus forts, les agents privés moins endettés, les effets de richesse réelle moins négatifs.

 

La crise économique des années 2007-2010 a deux versants : un versant conjoncturel et un versant structurel. La crise conjoncturelle a d’abord pris le visage d’une crise bancaire et financière (faillites, krach boursier, credit crunch) puis celui d’une récession économique (recul du PIB en 2009) et enfin celui d’un possible défaut des dettes souveraines. La position de la France dans la hiérarchie des nations affectées est assez favorable. D’abord, la récession économique y a été moins violente qu’ailleurs. Les dernières statistiques de l’Insee disponibles font état d’un recul de – 2,2% du PIB pour l’année 2009, quand nos partenaires connaissaient des récessions beaucoup plus profondes (Allemagne, Royaume-Uni). L’explication réside ici dans le jeu naturel des stabilisateurs automatiques. Les stabilisateurs automatiques sont les mécanismes réglementaires qui permettent de lisser le cycle d’activité. Par exemple, l’allocation chômage fait partie de ces stabilisateurs automatiques. Quand la crise s’installe et que le chômage augmente, les allocations chômage sont – automatiquement – distribuées en plus grande quantité, ce qui permet de soutenir la demande effective dans une logique keynésienne. Du côté de l’action discrétionnaire, le policy mix mené par le gouvernement Fillon était clairement adapté. D’une part, les garanties apportées au secteur bancaire via la création de la SFEF ont été efficaces. En Octobre 2008 a été créée la SFEF (Société de Financement de l’Economie Française), détenue à 34% par l’Etat et à 66% par 7 grandes banques françaises. La SFEF octroie des prêts à moyen et long terme aux établissements bancaires en échange d’un engagement moral de ces banques à soutenir le crédit aux ménages et aux entreprises. La SFEF se finance sur les marchés financiers en émettant des obligations garanties par l’Etat (donc notées AAA) puis elle prête aux banques.  Les banques paient une prime à la SFEF qui est reversée à l’Etat. La SFEF a cessé ses activités le 8 Octobre 2009, compte tenu de l’amélioration des marchés financiers et interbancaires. Au final, sur une enveloppe maximale de 265 milliards d’euros, 80 milliards ont été levés sur les marchés financiers, dont 75 reprêtés aux banques. La SFEF est mise en sommeil jusqu’à la prochaine crise.

D’autre part, du côté de IS (et donc sur le marché des biens et services), l’action gouvernementale s’est focalisée sur le soutien à l’investissement des entreprises, plus que sur la défense de la consommation. C’est justifié du point de vue de l’efficacité : l’investissement, s’il pèse trois fois moins que la consommation dans le PIB, est trois fois plus volatil.

Ensuite, la plupart des mesures prises sont temporaires, ce qui permet de relancer sans créer des dysfonctionnements structurels. Dans « The Role of Shocks and Institutions in the Rise of European Unemployment : the Agregate Evidence » (2000, American Economic Review), Blanchard et Wolfers expliquent que c’est l’articulation entre les crises et les institutions qui est à l’origine d’une hausse du chômage structurel. Ce serait une trop forte protection de l’emploi – qui certes sur le court terme en cas de crise limite la hausse du chômage – qui serait, à long terme, responsable de la hausse du chômage structurel.  On peut donc noter ici un effet d’apprentissage des politiques publiques. La France n’a pas reproduit les erreurs du passé et a pris des mesures temporaires concernant le chômage partiel, les aides sociales, les exonérations de charges sociales.

Enfin, le retour à la rigueur budgétaire dès 2011 constitue une décision à double facette. D’un côté, cette restriction budgétaire entraîne clairement à court terme un effet récessif. Mais à moyen terme, les modèles IS/LM avec anticipations rationnelles proposés par Olivier Blanchard et Daniel Cohen montrent qu’une politique volontariste de réduction des déficits publics qui insiste sur la limitation des dépenses gouvernementales implique un effet expansif (cas de l’Irlande dans les années 1990).

 

Derrière cette crise conjoncturelle bien maîtrisée se dissimule cependant une crise structurelle depuis 1974 et face à laquelle les atouts de la France semblent plus limités. Cette crise structurelle prend quatre formes : crise démographique, insertion insuffisante dans la mondialisation, innovation insuffisante et déficit budgétaire structurel. Concernant le premier aspect, la France s’en sort mieux que ses voisins. Son vieillissement y est moins prononcé, en partie grâce à une démographie mieux portante : l’indice synthétique de fécondité s’y établit ainsi à 2 et en termes de descendance finale, le renouvellement des générations y est assuré. En revanche, les trois autres points s’avèrent plus problématiques. D’abord, le solde commercial français est structurellement déficitaire, à cause en partie de l’absence d’un tissu de PME performantes sur les marchés mondiaux. Ensuite, l’innovation et la R&D restent sous-dimensionnées (seulement 2% du PIB contre deux fois plus en Suède, au Japon, aux Etats-Unis). Enfin, jamais depuis 1975 le budget de l’Etat français n’a été à l’équilibre ou excédentaire. Les  keynésiens hurlent dès qu’on parle d’un budget de l’Etat en excédent. Ils ont raison : le budget de l’Etat n’a pas à être en équilibre. D’une part parce que ce déficit correspond à un besoin de financement. D’autre part parce que l’Etat n’est pas un acteur économique comme les autres. Reste que les périodes de croissance doivent être mises à contribution afin de reconstituer les marges de manœuvre budgétaires, ce qui n’a pas été fait, hormis sous les gouvernements de Lionel Jospin et (dans une moindre mesure) de Dominique de Villepin.

 

Plusieurs scenarii sont donc envisageables :

- soit la crise est un simple « trou d’air » et la croissance reprend son trend naturel (le taux de croissance potentiel de l’économie française était à 2% avant la crise)

- soit la crise constitue une perte productive irrémédiable mais les réformes permettent à terme à la France de retrouver un sentier de croissance

- soit la crise signifie l’entrée de la France dans une spirale récessive, avec un réel risque productif. Un scénario semblable à la situation grecque n’est pas à exclure dans cette perspective à moyen terme.

 

Le principal atout de la France face à la crise actuelle est donc d’être une démocratie dotée d’un Etat-Providence qui assure une redistribution efficace, permet une vitalité démographique et assure le lissage de l’activité économique. Reste à réformer (ce qui ne veut pas dire réduire ou démanteler) cet Etat-Providence afin de le rendre compatible avec l’exigence productive d’une économie (forcément ?) insérée dans la mondialisation et (nécessairement ?) tournée vers l’innovation. C’est Jean Fourastié qui disait : « La production est la condition de la consommation. Pour consommer, il faut d’abord avoir produit soi-même » (Les Trente Glorieuses, p.205). Les hommes politiques commencent à redécouvrir la véracité de cette assertion.

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