Lecture différenciée 2 par un enseignant : Comment le développement peut-il être durable?

Publié le par Alexis Trémoulas, enseignant d'AEHSC à Claude Fauriel,St-Etienne.

Le développement durable peut-il se fonder sur une fiscalité écologique ?

 

 

Le développement durable est un concept à la mode. Tiré du rapport Bruntland  pour les Nations Unies (Our Common Future, 1987), il y est défini comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de.  répondre aux leurs ».

 

Les économistes classiques, dont Malthus et Ricardo, considéraient déjà au XIXe siècle que les ressources naturelles constituaient un facteur de production parmi d’autres. La terre était considérée comme un facteur rare, dont la productivité était soumise à la loi des rendements marginaux décroissants. Pour Malthus, la production agricole croissait selon une raison arithmétique tandis que la population croissait de manière géométrique. Par conséquent, l’explosion démographique conduisait à l’impossibilité de nourrir tous les hommes : certains n’avaient pas leur place au Banquet de la Nature. David Ricardo affirmait quant à lui que la croissance de la population conduisait à mettre en culture des terres de moins en moins fertiles, sur lesquelles se définissait la rente (théorie de la rente différentielle d’Anderson). Par conséquent les profits étaient laminés et l’économie tendait vers un état stationnaire. Cette vision est actualisée avec le concept de développement durable : pour produire et consommer, notre génération utilise des facteurs de production, dont les ressources naturelles. Or nous entamons ce stock de ressources de manière irrémédiable, si bien que les générations futures ne pourront pas obtenir un même niveau de bien-être. La conférence de l’ONU à Rio de 1992 reprend cette idée et fait reposer le développement durable sur trois piliers : progrès économique, préservation de l’environnement, justice sociale.

 

Garantir un développement durable implique donc de baisser l’utilisation des ressources naturelles et de diminuer la pollution à l’échelle mondiale. C’est d’autant plus urgent que le Rapport Stern (2005) chiffre à 5500 milliards d’euros le coût économique à venir du réchauffement climatique engendré par la pollution. La pollution est l’illustration idéale-typique de l’externalité négative. La définition de l’externalité est désormais bien connue : il y a externalité quand l’action d’un agent économique influe, positivement ou négativement, sur l’utilité d’un autre agent, sans que cette interaction ne transite par le mécanisme du marché. On distingue l’externalité positive de l’externalité négative. L’externalité négative est illustrée par l’exemple de la pollution : une usine qui vidange ses graisses et produits toxiques dans le lac adjacent pollue ce lac, altérant de ce fait le bien-être des riverains et promeneurs. L’entreprise ne paie aucune amende et les riverains et promeneurs ne touchent aucune indemnisation dans un système de marché parfaits. Face à ces externalités négatives qui suscitent des pertes, l’économie propose deux solutions : la taxe ou le quota. Pigou, dans The Economics of Welfare (1920) propose de faire payer une taxe selon le principe du polleur-payeur.

 

La France a été pionnière en matière de fiscalité écologique si l’on songe par exemple à la taxe sur la pollution atmosphérique (1985). Mais elle a pris depuis du retard par rapport à ses partenaires européens. Eurostat classe la France 19e sur 27 pays de l’UE en termes de poids de la fiscalité écologique en 2009. La TIPP représente la moitié de cette fiscalité environnementale mais le différentiel de taxation des carburants en fait un instrument  défavorable à l’environnement (le gazole moins cher que l’essence alors qu’il pollue davantage). La France apparaît désormais en retard vis-à-vis de l’Allemagne (qui a créé en 1999 une taxe sur l’énergie) ou de la Grande-Bretagne (qui a instauré en 2001 une taxe sur les changements climatiques). L’OCDE va plus loin et montre que la taxation implicite réelle sur l’énergie (soit le ratio « taxes sur l’énergie » divisées par la « consommation finale d’énergie ») est passée entre 1995 et 2004 de 170 à 200 en Allemagne, de 143 à 206 en Grande-Bretagne mais de 170 à 134 en France. Le projet de taxe carbone, tel qu’envisagée par la Commission Juppé-Rocard, s’inscrivait dans cette perspective d’une taxe pigouvienne. Il s’agissait de taxer toutes les activités produisant des rejets de carbone. L’objectif est clairement incitatif : l’impôt modifie le système des prix et incite donc à moyen terme les entreprises à élaborer des systèmes productifs moins polluants car moins taxés. Le problème essentiel suscité par cet impôt était l’iniquité. La taxe carbone est en effet un impôt régressif (qui touche davantage les plus modestes). En effet, les plus modestes, soit les agriculteurs, ouvriers, salariés habitant les zones pavillonnaires périurbaines, consomment plus d’essence et de produits carbone. Ils auraient donc été davantage taxés que les ménages des centres-villes. L’autre solution est proposée par Ronald Coase et consiste à créer des droits de propriété (« The Problem of Social Cost », Journal of Law and Economics, 1960). Coase constate en effet que les ressources environnementales sont soumises à la « tragédie des communs » : comme ils n’appartiennent à personne, tout le monde puise dedans jusqu’à épuiser la ressource. La réponse de Coase est alors de créer des droits de propriété afférents à ces ressources naturelles et d’échanger ces droits sur un marché. La création en 2005 à l’échelle européenne d’un marché des droits à polluer s’inscrit dans cette démarche.

 

Au final, on peut affirmer que la fiscalité environnementale française est davantage budgétaire qu’environnementale en ce qu’elle vise à procurer des recettes fiscales à l’Etat plus qu’à protéger l’environnement. En 2005, la fiscalité écologique rapportait 48 milliards € à l’Etat, soit presque autant que l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Cette faiblesse de la fiscalité environnementale est d’autant plus dommageable que, dans le cas des carburants, l’élasticité prix de la demande est relativement forte, d’environ – 0,65 à long terme (7 à 10 ans). Ce qui signifie que toute hausse de 1% du prix des carburants implique une baisse de 0,65% du volume de la demande. Toute volonté d’inscrire la croissance économique dans une perspective de développement durable doit donc se traduire par une fiscalité écologique véritablement incitative, donc par des choix politiques courageux (car non payants électoralement à court terme).

 

Reste une autre solution, politique celle-là, à la question du réchauffement climatique : que tous les pays se réunissent autour de la table et conviennent de réduire tous ensemble leurs émissions. Cette solution est d’autant plus difficile à obtenir que les pays émergents réclament de pouvoir se développer, y compris en utilisant les ressources naturelles comme l’ont fait avant eux les pays riches durant leurs révolutions industrielles.

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